Je me gausse souvent du ridicule de certains
soi-disant « défenseurs » de la langue Française, qui
feraient bien de méditer les anecdotes suivantes :
Dans les années 1980, je dirigeais un laboratoire
de recherche de France Télécom, pionnier dans le domaine de
l'informatique graphique (Computer Graphics en anglais). Nous avions
à l'époque conçu des machines 3D très en avance sur leur
homologues aux USA. Mais cela n'intéressait guère à l'époque nos
énarques et polytechniciens X mines ou télécoms acharnés à détruire notre
industrie.
Mon laboratoire recevait presque quotidiennement des
visiteurs du monde entier : Délégués ministériels Allemands,
Vice Ministre de la Télévision Chinoise, Ministre de la Télévision
Russe, directeurs de bureaux d'étude de Renault, Peugeot,
architectes, médecins hospitaliers, Institut Pasteur etc... pour
n'en citer que quelques-uns.
Un jour entre autres personnages illustres, je
devais présenter à François Mitterrand nos réalisations. Pour des
raisons de temps, il fut décidé de produire un film illustrant nos
travaux. Ce film fut réalisé en Français et en Anglais, du fait
que nous recevions beaucoup de visiteurs étrangers. Or un
malencontreux hasard voulut que restat dans le texte Français le
terme « Worstation » au lieu de sa traduction en
« station de travail ».
Loin de reconnaître le mérite de réaliser une
machine en pointe dans le domaine complexe de la 3D, encore
complètement inconnu à l'époque, Mitterrand ne retint qu'une
chose : « Workstation », et s'en plaignit à mon
directeur (X Télécom) qui me retransmit dès le lendemain en termes
vifs la remarque du monarque.
Dans un ordre d'idée corrélatif, je constatai qu'à
l'inverse, les Américains et les Anglo-Saxons en général
respectaient le titre que j'avais donné à notre machine :
« CUBI7 » et ils prononçaient effectivement C-U-B-I-7 et
non C-U-B-I-SEVEN, comme tout le laissait supposer, car ils
respectaient ainsi la performance technologique que représentait
cette machine et son logiciel.
Ces deux exemples illustrent l'erreur et le ridicule
de nos ardents « défenseurs de la langue Française »
qui s'imaginent la sauver en pinaillant sur des termes Anglais, en
interdisant le Franglais. Toujours sur les plateaux télévisés... Alors que les Américains n'hésitent pas à
emprunter des termes Français lorsqu'ils les jugent intéressants.
Une langue au contraire s'enrichit quand elle adopte et adapte des
termes d'autres langues. Même les Russes ont adopté des termes
français.
Autre exemple de l'acharnement puéril à interdire les mots Anglais : On connaît bien le rejet historique des Français et des Québecquois (surtout ceux d'origine Française qui veulent se donner une image plus Québecquoise que les Québecquois) à l'égard de tout ce qui est Anglais. Je comprends bien entendu tout le poids historique des exactions qui eurent lieu jadis entre les deux communautés, mais qu'il convient un jour de dépasser.
J'eus l'occasion de visiter l'Université de Kingston avec un ingénieur d'Hydro Quebec Jean-Claude Tessier, avec qui j'ai toujours eu d'excellentes relations tant sur le plan amical que professionnel. Le professeur Genkins qui dirigeait un Laboratoire d'informatique dans cette Université avait développé un remarquable langage de programmation baptisé NIAL ou Nil-APL. Dérivé en C++ du génial langage scientifique APL pour lequel les Québecquois et les Russes furent d'éminents contributeurs. Nous fûmes reçus princièrement par ce Professeur, au grand étonnement de Jean-Claude, qui refusait même de parler aux « Inglais ».
Prenons le mot « Mail » : bien que semblant typiquement Anglais, ce mot dérive du terme de « Malle de Poste » mot typiquement Français en usage en France depuis la fin du XVIIIème siècle pour désigner la malle qui transportait le courrier dans des voitures à chevaux1. Or le terme de « Courriel » qui doit en principe le remplacer vient en fait de « courrier » désignant l'homme transportant les missives. Témoin d'une époque révolue...Il serait donc plus logique d'utiliser un terme dérivé du mot « malle ».
En conclusion je considère pour ma part qu'une langue n'est forte que par la puissance économique, culturelle et spirituelle de ceux qui la parlent2. Elle s'enrichit au contraire d'intégrer dans ses usages des mots étranger, comme l'illustrent ces nombreux mots Anglais dérivés du Français ou du Latin. La "défendre" (quel mot barbare, comme si l'on pouvait "défendre" une langue !) sur la seul plan culturel et littéraire est vain s'il n'est accompagné de la puissance économique et spirituelle. De plus, l'adoption avec francisation de mots anglais, très courants aux USA (en sens inverse) ne fait qu'enrichir globalement la langue, et augmenter la compréhension mutuelle entre les peuples. J'ai toujours été surpris par l'adoption non seulement par les Russes et les Allemands de mots français : "cheval" après l'invasion de la Russie par Napoléon, "bistrot" à la même époque, "visà vis" par les Allemands, etc...
Petite anecdote amusante :
Je suis allé de très nombreuses fois aux USA sans le moindre problème, et 3 fois au Québec.
La première fois je revenais de Los Angeles où j'avais donné une conférence au SIGGRAPH sur mes recherche dans le domaine des "Computer Graphics". (Désolé aucun terme Français n'est satisfaisant pour traduire ce genre d'activité). Donc sur le papier d'entrée de non immigrant, mon activité était considéré tout à fait logiquement comme "business". Eh bien la police Québecquoise trouva cela très louche et me fit subir un interrogatoire serré d'une heure. Je fus heureusement relâché mais je me souviens encore de cette anecdote qui m'a marqué. J'appris en effet plus tard que les Français ne viennent au Quebec que pour des vacances, et ne passent généralement pas par Los Angeles. J'étais donc éminemment suspect.
Les deux autres fois, j'ai récolté un PV : stationnement interdit pour l'un et pour l'autre, je revenais d'une traite de Chicoutimi, tard dans la nuit. Je ne me rappelle plus de l'heure exacte, mais comme la nuit tombait lorsque nous partîmes de cette ville, on peut aisément déduire notre heure d'arrivée à Montréal. Comme mon épouse d'alors refusait de s'intéresser à la carte, et me laissait toujours me débrouiller seul pour la route, arrivé à Montréal elle me laissa dépasser l'hôtel sans même me dire qu'elle l'avait aperçu. J'ai donc entrepris de tourner à 180° dans une rue pourtant large où il n'y avait strictement personne... sauf une voiture de policiers qui s'empressèrent de nous interpeller. Nous dûmes attendre une heure que ces messieurs nous autorisent à repartir. Après 1000km de route de nuit depuis Chicoutimi... Pas vraiment tendres parfois avec les Français les Québecquois...
Mais je n'oublie pas que j'ai été reçu par le Consul de France à Québec, Monsieur Bertranneu lorsque je développais une coopération FRANCE-QUEBEC sur les recherches dans le domaine du 3D. Cette coopération s'est d'ailleurs rapidement arrétée en raison de la méfiance viscérale de la haute hiérarchie de France Télécom à l'égard du monde Américain. (Dans lequel ils englobaient le Québec, bien sûr...). D'ailleurs l'un d’eux me dit un jour, pour expliquer cette position, qu'un Québecquois est en fait un Américain qui parle Français... Sidérant...
Ce qui n'empêchait pas Pierre Conruyt le Directeur général du CNET (Centre National d'Etudes des Télécommunications) qui dépendait de France Télécom, de payer chaque année plusieurs millions de Francs au MIT, ou il était reçu en grand pompe... au frais de France Télécom... Le MIT lui faisait un vague exposé sur ses recherches, avec d'énormes restrictions sur les droits d'utilisation, accompagné d'un rapport qui retournait immédiatement au placard.
1Victor Hugo lui-même utilisa le mot "mail" dans Notre Dame de Paris...Mail désignait aussi une allée sur laquelle on jouait au "mail"... Petite masse cylindrique de bois à long manche, dont on se servait pour jouer ou pour travailler. Le terme "maillet" "mailloche" "maillotin" en est ainsi dérivé. Français Couperin le Grand a écrit une pièce de musique portant ce nom.
2Ua XVIIème siècle, la France rayonnait par sa puissance commerciale, industrielle et intellectuelle, et l'Europe et la Russie parlaient Français. J'ai même été reçu après une conférence à l'Université Lomonosv de Moscou par un professeur de l'Université qui parlait parfaitement le Français. Son épouse d'ailleurs était professeur de Français). A contrario, à l'heure actuelle, les éditions musicales Allemandes comme Bärenreiter ne traduisent plus leurs préfaces qu'en Anglais ! Et aux USA, le Français est totalement inexistant.