Croire en son destin, décrocher le Nobel, redevenir ministre... Philippe Douste-Blazy a toujours la foi chevillée au corps. Improbable ministre des Affaires étrangères de la fin de règne chiraquien, il avait été rayé de la carte politique en 2007. En trois ans, il s'est inventé une nouvelle vie. Un jour avec Bill Clinton, un autre avec Bill Gates. Une nuit à l'Onu, une autre en Chine. L'ancien maire de Lourdes s'est mis en orbite pour la célébrité planétaire. Celle-ci pourrait bien lui exploser au nez.
Son coup de génie ? Avoir cru dès 2006 aux " financements innovants " chers à Jacques Chirac. Quand la taxe sur les billets d'avion se met en place dans quelques pays, dont la France, Douste est aux avant-postes : un titre de professeur de médecine, le Quai d'Orsay, de quoi se tailler le costume du sauveur planétaire qui collecte de l'argent chez les riches voyageurs pour les donner aux enfants malades des pays pauvres. Mais, pour l'instant, cette aventure a surtout coûté près de 12 millions de dollars au contribuable...
L'histoire commence en 2007. Philippe Douste-Blazy devient le premier président d'Unitaid, la structure chargée d'utiliser l'argent de la " taxe Chirac ". Déjà, il voit plus loin, plus grand. Certains pays, comme les Etats-Unis, n'accepteront jamais un nouvel impôt, fût-il de 2 dollars. Il invente donc, avec le patron de Voyageurs du monde, Jean-François Rial, la microcontribution volontaire. L'idée est simple : chaque acheteur de billet d'avion, dans les pays où la taxe n'est pas en vigueur, pourra cliquer pour donner 2 euros ou 2 dollars à la cause.
Douste-Blazy convainc le conseil d'administration d'Unitaid, à Genève. Pour valider le concept, on fait appel à McKinsey. Le célèbre cabinet de conseil donne un feu vert fluo. Ses prévisions sont pharaoniques : 120 millions de dollars de recettes par an pour l'estimation pessimiste, 1,8 milliard pour l'hypothèse optimiste. Soit potentiellement beaucoup plus que le budget d'Unitaid, qui s'élève pour 2010 à un peu plus de 400 millions de dollars. Seul hic : le cabinet réclame 1 million de dollars d'honoraires pour ces très bonnes nouvelles. Unitaid refuse de payer. C'est la Fondation Bill et Melinda Gates qui règle la facture.
Folie des grandeurs. Pour développer ce projet prometteur, Philippe Douste-Blazy crée une fondation de droit privé suisse, la Fondation du Millénaire. Dans la joie et la bonne humeur, Unitaid, qu'il préside, verse 22 millions de dollars à la fondation, qu'il préside aussi. C'est la folie des grandeurs. Il faut créer une marque mondiale pour récolter des centaines de millions de dollars.
La communication, poste budgétaire numéro un, est confiée à un consortium composé de deux agences françaises, TBWA et Fred et Farid, flanquées d'une grosse structure de relations publiques américaine, Fleishman-Hillard. Budget prévisionnel : 10 millions de dollars, pas moins. Pour se faire connaître, au diable la modestie, on va s'inspirer de la campagne d'Obama. Et pratiquer le " marketing viral ". Enflammer la Toile avec du jamais-vu, du ré-vo-lu-tion-nai-re.
Marcher sur les traces de Barack Obama, voilà qui convient bien à Philippe Douste-Blazy. Déjà nommé conseiller spécial du secrétaire général de l'Onu pour les financements innovants, il peut envisager une réputation mondiale. Il est prévu de tourner des films promotionnels réalisés par Spike Lee, Steven Spielberg, Clint Eastwood... Dix en tout. Seul le premier voit le jour. Y apparaissent Spike Lee, Susan Sarandon, Paul Auster... Il coûte cher : 575 000 dollars, soit 427 882 euros pour une minute de cinéma sans effets spéciaux.
Les autres dépenses de communication n'ont pas été conçues non plus dans un esprit de pure charité. A 3 500 dollars le communiqué de presse facturés par Fleishman-Hillard, par exemple, les cadres de la fondation ont préféré les écrire eux-mêmes. Faire le bien massif (Massivegood), pour les fournisseurs, commençait apparemment par se faire du bien à soi-même." Nous avons divisé le budget de communication par trois, précise Bernard Salomé, directeur général de la Fondation du Millénaire.Il était prévu de dépenser 10 millions de dollars en un an, nous avons limité les frais à 2,3 millions. "
Tuile. Pour la promotion de sa " marque ", Philippe Douste-Blazy pense, dès 2009, au prix Nobel de la paix. Et, coup de chance, l'ancien maire de Lourdes peut compter sur le soutien amical de Bill Clinton. Ce dernier a quelques raisons de se montrer aimable. Unitaid cofinance les actions de sa fondation à hauteur de 70 millions de dollars pour faire accéder les malades des pays pauvres aux médicaments contre le sida. Clinton envoie une lettre de soutien au jury du Nobel à Oslo, tout comme Jimmy Carter et quelques chefs d'Etat africains. Il accepte aussi d'écrire une préface élogieuse au livre que Philippe Douste-Blazy publie en anglais - la notoriété mondiale, toujours -, avec un " coauteur ", Daniel Altman, " Power in Numbers " (Le pouvoir des nombres). Les droits d'auteur de ce nègre de luxe sont réglés, à l'été 2009, par la fondation, via l'agence TBWA, au prétexte que le livre participe au lancement de la marque Massivegood. C'est un peu gros, si bien que Philippe Douste-Blazy finit, en septembre 2010, par rembourser 21 500 euros sur ses fonds personnels. Pour boucler la boucle, la Fondation Clinton décerne, le même mois, son prix annuel à... Philippe Douste-Blazy pour l'ensemble de son oeuvre.
Dans ce scénario idyllique, une première tuile tombe sur la tête de Philippe Douste-Blazy au tout début du mois de mars 2010. Le 4, Massivegood doit être lancée en grande pompe à New York, avec Ban Ki-moon, le secrétaire général de l'Onu, et Bill Clinton comme premiers donateurs. La veille, le président de la Fondation du Millénaire apprend que le logiciel de collecte des contributions volontaires ne fonctionne pas." J'avais convoqué toute la presse, j'avais Ban Ki-moon et Bill Clinton, est-ce que je devais annuler ? Non, j'ai préféré maintenir la manifestation, explique Philippe Douste-Blazy . Alors évidemment, après, lorsqu'on me demande : combien avez-vous reçu depuis le 4 mars 2010 ? je suis bien obligé de répondre que l'on n'a rien reçu puisque ce n'était pas encore lancé. "
A Unitaid, on commence à douter du sérieux de l'entreprise. Le secrétariat exécutif réclame des comptes. Douste-Blazy, en ce début 2010, doit faire exister son projet. Faute du marché américain, la fondation veut tester le logiciel sur le marché espagnol dès juin. Le test est un succès technique - le logiciel fonctionne enfin -, mais un échec financier : moins de 1 % des acheteurs de billets d'avion donnent 2 euros. A raison d'environ 1 500 euros récoltés chaque semaine en Espagne, il faudrait en effet plus de cent cinquante ans pour rembourser la mise de fonds d'Unitaid.
Personne, en cas de succès, ne serait venu demander des comptes à la fondation. Mais la réalité est là. Et l'exécutif d'Unitaid ne veut pas être contaminé par cet échec. Il confie donc, durant l'été, une mission d'évaluation au cabinet Dalberg. Celui-ci vient de rendre ses conclusions, confidentielles, au conseil d'administration d'Unitaid.Le Point a eu accès au rapport, qui recommande de ne pas continuer dans ces conditions. La fondation, expose-t-il, a collecté des sommes très inférieures aux prévisions, dans une proportion de 1 à 1 000. La poursuite du dispositif coûterait 49 millions de dollars par an, une dépense impossible à couvrir en raison de la faiblesse de la marque.
Rendez l'argent. Le message du secrétariat général est clair : rendez l'argent. Mais comment ? Philippe Douste-Blazy cherche un repreneur américain. Il faut aussi trouver une marque mondiale capable de porter le projet. Des discussions sont engagées avec l'Unicef, mais n'ont pas débouché pour l'instant. A Genève, les dirigeants d'Unitaid, tel un syndic de faillite, comptent les " actifs " de la fondation qui pourraient avoir de la valeur à la revente : son logiciel, et c'est tout.
" J'ai cru en mon âme et conscience qu'il y avait une autre voie que de montrer des enfants mourant de faim pour financer des projets d'aide à la santé et au développement, dit Philippe Douste-Blazy.Et je continue à croire en cette belle idée que sont les financements innovants et la contribution volontaire. " Une belle idée, en effet. Mais, pour l'heure, rien qu'une idée
Le film promotionnel réalisé par Spike Lee pour Massivegood a coûté 420 000 euros. D'après des créatifs que Le Point a contactés, le budget n'aurait pas dû dépasser les 100 000 euros. Où est passée la différence ? Si les acteurs ont été payés au tarif syndical, Spike Lee, lui, a touché 75 000 dollars. Rien d'illégal, mais cela pose un petit problème d'éthique." C'est une prouesse qui nous a pris beaucoup de temps, s'insurge Fred Saillard, de Fred et Farid. Spike est un type intègre. " Intègre, mais pas porté sur le bénévolat pur et dur.